L’épidémie de COVID 19 qui a touché la France à compter du début de l’année 2020, entrainant un confinement de la population du 17 mars au 11 mai, a affecté tous les secteurs de l’économie y compris le BTP.
Toutefois, la situation des chantiers pendant le confinement et en sortie de confinement est particulière eu égard aux déclarations des pouvoirs publics en la matière et aux accords trouvés avec les organisations de la profession.
En effet, lorsque le gouvernement a pris la décision de confiner la population française, la quasi-totalité des chantiers ont été mis à l’arrêt ; les entreprises étant contraintes d’assurer la sécurité sanitaire de leurs employés.
Cependant, très rapidement, le gouvernement a déclaré qu’il était nécessaire que les chantiers reprennent afin de ne pas paralyser l’économie du pays. Dans ce contexte, l’OPPBTP (Organisation professionnelle des bâtiments et des travaux publics) a publié le 2 avril 2020, un guide des bonnes pratiques visant à permettre la reprise de l’activité du secteur en assurant la sécurité des travailleurs.
Théoriquement, les chantiers ont donc tous pu repartir à compter de la publication de ce guide.
En pratique, les difficultés sont nombreuses, au nombre desquelles principalement se trouvent l’absence des travailleurs ne voulant ou ne pouvant pas revenir sur le lieu de travail pendant l’épidémie, les difficultés d’approvisionnement des matériaux, les surcoûts liés aux mesures à mettre en place (référent COVID, espaces à respecter, matériel de protection, etc..).
Du côté du maître d’ouvrage, la paralysie du chantier a pu également avoir des conséquences économiques du fait du retard de la livraison des constructions.
C’est pourquoi, aujourd’hui, maître d’ouvrage et maître d’œuvre s’interrogent sur la prise en charge des conséquences de cette épidémie et sur les textes applicables aux contrats de chantier.
- Les ordonnances de mars 2020
Plusieurs ordonnances ont été prises en mars 2020 (2020-305 et 2020-306 notamment) afin de régir les problématiques juridiques nées du confinement. Néanmoins, ces ordonnances portent seulement sur la suspension des sanctions applicables en cas de défaut ou retard de paiement.
Il s’agit donc d’une suspension des clauses pénales ou des clauses résolutoires. Ainsi, un contractant ne pourra pas rompre un contrat en raison d’un impayé survenu pendant la période protégée soit du 12 mars 2020 au 24 juin 2020.
Ces ordonnances ne disposent aucune règle quant à une renégociation des contrats ou quant à une répartition des surcoûts.
Les parties doivent alors rechercher dans les textes de droit commun les fondements de leur action.
- La force majeure : l’exclusion d’une application systématique
Le premier principe apparu dans les débats est la force majeure codifiée à l’article 1218 du Code civil. Cette notion bien connue de la doctrine et de la jurisprudence impose la réunion de trois conditions cumulatives. Le fait invoqué doit être imprévisible, extérieur et irrésistible.
En l’espèce, l’épidémie de COVID 19 était imprévisible, si ce n’est dans sa survenance a minima dans son ampleur et extérieure, car elle ne dépend aucunement des parties. Le point d’achoppement porte sur l’irrésistibilité. L’OPPBTP ayant publié un guide permettant la reprise des chantiers dès le 2 avril 2020, il apparaît difficile de reconnaître l’application générale de la force majeure fondée sur l’épidémie pour des conséquences postérieures à la parution du guide.
L’entreprise qui souhaitera invoquer ce fondement devra donc apporter des éléments factuels particuliers. Néanmoins, il ne s’agira pas de simplement démontrer des difficultés d’approvisionnement ou des difficultés de manque de personnel mais bien une impossibilité totale de maintenir l’activité.
Une confusion est née des propos du Ministre de l’économie et des finances, Monsieur LE MAIRE, qui avait déclaré que l’épidémie de COVID 19 serait un cas de force majeure dans les contrats de marchés publics.
Plusieurs mois après cette déclaration et après la sortie du confinement, les déclarations du Ministre n’ont pas été reprises dans les textes et semblent en tout état de cause exclues des contrats privés.
La force majeure sera donc appréciée au cas par cas et devra être particulièrement motivée pour chacun des critères la composant.
- L’imprévision un fondement résiduel
Le second fondement juridique évoqué par les intéressés porte sur l’article 1195 du Code civil relatif à l’imprévision dans les contrats.
Cet article a initialement été créé pour les contrats de longue durée afin que ceux-ci soient renégociés lorsqu’un évènement imprévisible vient bouleverser leur équilibre économique.
En pratique, il est à noter que la très grande majorité des contrats prévoit l’exclusion de l’application de l’article 1195 du Code civil. Dans cette hypothèse, les parties ne pourront donc pas se prévaloir de l’imprévision.
Pour les entreprises qui souhaiteraient ouvrir une renégociation des contrats sur le fondement de l’article 1195 du Code civil, elles devront démontrer la réunion de trois conditions : un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, rendant son exécution particulièrement onéreuse, pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.
Le débat se concentrera certainement autour de la question de l’appréciation du caractère « particulièrement » onéreux. La partie qui invoquera l’imprévision devra démontrer un réel bouleversement de l’économie du contrat.
Il faudra attendre quelques mois avant de connaître l’application que feront les juges du fond de ce principe d’imprévision dans le cas spécifique de l’épidémie de COVID-19.
- Le recours à l’obligation de négocier de bonne foi
Lors de divers échanges entre professionnels du droit et professionnels de la construction, le point qui revenait le plus régulièrement était celui relatif à l’intérêt pour les parties de se rapprocher pour négocier. L’utilité d’une négociation ressortait eu égard à l’insécurité pour les parties de se soumettre à l’interprétation judiciaire des fondements évoqués ci-avant.
Si la négociation suppose une volonté des deux parties en présence, un refus catégorique de l’une des parties, estimant être dans son droit d’exiger l’exécution de la prestation matérielle ou financière, sans prendre en compte les caractéristiques particulières des évènements récents, pourrait être sanctionnée par les magistrats au titre d’un manquement à la bonne foi dans l’exécution du contrat.
En conclusion, les évènements sanitaires récents ont soulevé et soulèvent encore de nombreuses interrogations juridiques et économiques auxquelles nul ne saurait apporter de réponses fermes à ce jour. Le temps de la justice était particulièrement long et donc peu adapté à une situation qui évolue rapidement, il est fort probable que le recours aux modes alternatifs de règlement des différends s’accroisse dans les prochains mois.